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L’inexorable éloignement de la Lune

En Europe, l’année 1999 a été marquée par un événement astronomique spectaculaire, une éclipse totale du Soleil, le 11 août, considérée comme celle qui compte le plus d’observateurs de l’histoire humaine. Peut-être étiez-vous parmi eux. Et vous auriez bien fait, car ce genre de phénomène ne se reproduira pas indéfiniment ! Pour quelles raisons ?

Parce que la Lune s’éloigne actuellement de la Terre à la vitesse de 3,83 centimètres par an, comme l’attestent les mesures de précision réalisées avec des tirs laser que réfléchissent des catadioptres disposés sur la Lune par différentes missions spatiales. À cela s’ajoute une augmentation de la durée du jour de 1/74 000 de seconde chaque année. Deux phénomènes, un seul coupable : la Lune ! Les forces de marée qu’elle exerce sur notre planète, en déformant la croûte terrestre et les océans, dissipent de l’énergie et freinent la rotation de la Terre tout en transférant de l’énergie à notre satellite. Des modélisations récentes décrivent l’évolution de ce couple depuis sa création il y a plus de 4 milliards d’années. Surprise : le rythme de la séparation varie beaucoup au cours du temps. Détaillons le phénomène.

L’effet de marée

Considérons d’abord une planète et son satellite, dépourvus d’océans, orbitant l’un autour de l’autre sur des trajectoires circulaires. Au niveau de leurs centres de gravité respectifs, la force centrifuge due à leur rotation mutuelle est exactement compensée par la force gravitationnelle qui les attire. À leur surface, cependant, ce n’est plus le cas, ces deux forces ne s’équilibrent plus. C’est leur résultante qu’on appelle « force de marée ». Sur la planète, cette force de marée tend à soulever sa surface le long de l’axe planète-satellite, l’effet étant contraire dans les directions perpendiculaires. En conséquence, la planète s’allonge dans la direction de son satellite. L’ampleur de la déformation est très faible : le soulèvement de la croûte terrestre est de l’ordre de 20 centimètres.

marées terre lune

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Si jamais la planète et son satellite tournaient ensemble de façon synchrone, c’est-à-dire qu’ils présentaient l’un à l’autre toujours la même face, on en resterait là : des corps célestes très légèrement déformés. Mais quand la rotation de la planète sur elle-même est plus rapide que la rotation du satellite autour de la planète, les bourrelets sont amenés à se déplacer à la surface de cette dernière. Pour déterminer ce qui se produit, il faut comparer la vitesse de déplacement des forces de marée à la surface de la Terre (0,45 kilomètre par seconde) à celle de la propagation des ondes sismiques (4 kilomètres par seconde). La première étant très inférieure à la seconde, les bourrelets peuvent suivre le mouvement du satellite.

Un bourrelet qui a du retard

En réalité, ces déformations ne se font pas sans frottements, sans dissipation d’énergie, ce qui engendre du retard et fait que la position des bourrelets est décalée par rapport à l’axe planète-satellite. Si la planète tourne plus vite, ils sont en avant de cet axe, dans le sens de rotation de la planète. Ce petit écart n’a l’air de rien, mais c’est lui qui est responsable de l’éloignement de deux corps célestes et du ralentissement de la rotation propre de la planète.

En effet, par rapport à une situation où la planète serait non déformée par la marée, puisque la force gravitationnelle entre deux masses varie comme l’inverse du carré de leur distance de séparation, le bourrelet de marée le plus proche du satellite subit une attraction gravitationnelle de sa part plus forte que le bourrelet le plus éloigné. Ces deux forces n’étant pas tout à fait alignées avec l’axe, il se produit un effet de couple sur la planète qui s’oppose à sa rotation propre et donc la ralentit. Du point de vue du satellite, les deux forces gravitationnelles qu’il subit de la part de ces bourrelets, opposées en vertu de la loi de l’action et de la réaction des forces mentionnées ci-dessus, se combinent pour l’accélérer le long de sa trajectoire circulaire : l’augmentation lente de sa vitesse fait aussi croître la force centrifuge et le satellite s’éloigne de la planète.

Ce ralentissement et cette accélération se poursuivront jusqu’à ce que toutes les rotations soient synchrones comme évoqué au début de ce paragraphe, mais, petite subtilité, si l’effet de marée existe bien dans les deux sens (du satellite sur la planète et réciproquement), il n’est pas de même amplitude. Les forces de marée de A sur B sont en effet proportionnelles au produit de la masse de A fois le rayon de B sur leur distance au cube. Comme la Terre a une masse quatre-vingt fois plus grande que celle de la Lune et que cette dernière a un rayon presque quatre fois plus petit, les marées lunaires ont été beaucoup plus intenses que les marées terrestres, la dissipation aussi et, comme la Lune est plus petite, le ralentissement beaucoup plus fort. C’est pourquoi aujourd’hui la rotation propre de la Lune est déjà synchronisée avec la Terre : elle nous présente toujours la même face.

La mer, le soleil et les orbites

Pour comprendre correctement des marées sur Terre, bien d’autres effets sont à prendre en compte. Ainsi, le Soleil participerait à hauteur de 30 % aux forces de marée sur Terre et est l’origine des marées de vive-eau et de morte-eau. Par ailleurs, l’obliquité de l’axe de rotation de la Terre par rapport au plan des orbites de la Terre et de la Lune, et le caractère elliptique et variable de la trajectoire lunaire influent également sur le phénomène. Enfin, avec la présence d’eau à la surface de la Terre, vont s’ajouter aux bourrelets solides des bourrelets liquides qui modifient considérablement la donne.

En premier lieu, le déplacement des masses d’eau dissipe beaucoup d’énergie à cause des frottements sur le fond des océans ou des turbulences provoquées par les courants de marée. Ensuite, pour savoir si ces bourrelets d’eau peuvent suivre le mouvement de la Lune, il convient de regarder la vitesse des ondes de gravité, qu’on appelle plus communément la « houle » ! Or celle-ci est égale au produit de la racine carrée de l’accélération de la pesanteur par la profondeur de l’océan. Avec une profondeur moyenne d’environ 4 kilomètres, elle est de 0,2 kilomètre par seconde, soit plus de deux fois inférieure aux forces de marées. Nos bourrelets n’arrivent plus à suivre la Lune et si la Terre était entièrement recouverte d’eau, on les trouverait pratiquement à la perpendiculaire de l’axe Terre-Lune !

Enfin, il y a des continents. Ce qui est vrai à l’échelle locale – l’amplitude des marées peut être considérablement augmentée par des phénomènes de résonance, dans la baie du Mont-Saint-Michel par exemple – l’est aussi à l’échelle de la planète. Selon la disposition des continents, et en tenant compte de la force de Coriolis qui dévie les courants marins, on peut avoir ou pas des résonances sous l’effet des forces de marée lunaire. Quand c’est le cas, la dissipation augmente et avec elle le ralentissement de la rotation propre de la Terre.

Une équipe de l’institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides a réussi récemment à intégrer tous ces éléments et d’autres encore (comme le fait que le fond des océans s’affaisse un peu quand le bourrelet liquide passe dessus) pour prédire la distance Terre-Lune et la durée du jour (liée à la rotation propre) sur Terre. Elle a notamment pris en compte la dérive des continents en les modélisant par une couche hémisphérique mobile à la surface de la Terre, en tout cas jusqu’à 1 milliard d’années dans le passé, date à laquelle on n’a plus de données les concernant. Elle a aussi inclus que dans un très lointain passé, au-delà de 3 milliards d’années, la Terre était recouverte d’eau.

éloignement de la Lune

Leurs résultats rendent très bien compte des estimations faites à partir de données stratigraphiques. Ils montrent que l’évolution du jour et de la distance Terre-Lune n’a pas du tout été régulière et que des périodes de ralentissement fortes comme aujourd’hui, dues à des résonances océaniques, encadrent un long moment (entre 1 et 3 milliards d’années) plus tranquille. Et dans le futur ?

Même avec le ralentissement élevé actuel, la synchronisation des rotations n’adviendra pas avant quelques dizaines de milliards d’années. En revanche, dans seulement 1 million d’années, la Lune sera suffisamment éloignée de la Terre pour que les éclipses totales de Soleil ne soient plus qu’un lointain souvenir !



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